De la notion de ressource considérée comme concept post-moderne
1-Dans un pays où la table -et les plaisirs qui vont avec- est revendiquée comme un élément premier de notre rayonnement national, on pourrait s’attendre à ce que ceux qui interviennent dans le champ industriel de notre alimentation aient à cœur d’apporter leur pierre à cet édifice culturel où tradition et innovation faisaient bon ménage. Et si l’on peut, dans une certaine mesure comprendre que l’élaboration de plats cuisinés entraîne le recours à quelques produits relevant plus de la chimie que des bocaux de la tante Marie, il est pour le moins surprenant que le hachis parmentier de mon enfance, qui permettait naguère à nos mères de recycler des restes de pot-au- feu, soit maintenant élaboré à partir de je ne sais quel « minerai ». Ce terme que l’on croyait réservé pour désigner toute substance extraite du sol et pouvant contenir un métal exploitable viendrait donc enrichir la palette lexicale de notre gastronomie nationale. Va donc pour ce minerai de viande, ou plutôt de bidoche, mélange de morceaux divers prélevés sur ce qui ressemble encore à des bovins*, considéré comme ressource pour l’industrie des plats cuisinés, surgelés ou non.
2- Il serait réducteur de croire que le terme de ressource ne s’applique qu’au minerai bovin. Des exemples existent où la ressource de minerai ovin est issue de britanniques moutons- so british !- minerai obtenu à partir de raclures où dominent cartilages, tendons et nerfs divers, débris d’os et autres éléments organiques difficilement identifiables pour le non-initié, avec possibilité selon les minerais de compléter l’ensemble par quelques prions baladeurs. Une fois intégré dans diverses purées légumières on obtient un produit fini tout à fait présentable pourvu que le service marketing enrichisse le produit avec des slogans à connotation « bon vieux temps » comme « La marmite de tante Jeanne » ou « Les boulettes de pépé ». Il est intéressant de noter par ailleurs l’excellent rendement financier généré par cette ressource abondante et peu onéreuse s’agissant de prélévements assimilables à des déchets.
3- Plus intéressant peut-être est le concept de ressource tel qu’on le rencontre dans des locutions comme « ressources humaines » s’agissant d’institutions où le minerai est essentiellement constitué d’employés humains, minerai dans lequel l’entreprise va prélever les profils les mieux adaptés à son projet économique et financier. Il est à craindre cependant que ce concept soit déjà en phase d’obsolescence et les signes ne manquent pas qui laissent prévoir son remplacement par le coaching, activité typiquement post-moderne où l’employé est cornaqué par un coach, comme autrefois le cocher cornaquait son bourrin. Dans cette nouvelle configuration de relation binaire à réciprocité aléatoire, pour ne pas dire univoque, le risque d’addiction ne doit pas être négligé pour le bourrin**qui, le plus souvent, ne se libèrera de cette emprise qu’au moment où00 le minerai fera l’objet d’une compression ,voire d’une liquidation , la ressource étant jugée incompatible avec le rendement financier programmé.
4 - Bovin, ovin, humain, le concept de minerai, associé au concept de ressource, témoigne d’une mutation essentielle intervenant dans la sphère de l’intime en même temps que dans celle du collectif, laissant entrevoir ce que sera peut-être demain ce que certains appellent déjà la nouvelle post-modernité. Minéralisation et bourrinisation : une chance pour l’humanité ?
MA
*pour combien de temps encore ?
** lire à ce sujet la contribution de Harry W Horse de la Wichita Country University : « Canasson addiction risk in the binary coaching relationship ».