COYOTE PARLE DU MYTHE DE L’HUMANITE
Vous me demandez de vous parler des premiers hommes ? Peut-être serait-il plus approprié de me demander de vous parler des derniers. Une espèce en voie de disparition : ils vont en ce moment vers leur extermination. Aucune créature connue dans la Création ne s’est autant empressée de s’auto-détruire. Ils s’enorgueuillissent de la destruction de toute chose et plus particulièrement d’eux-mêmes.
"C’est la quatrième manche et peut-être bien qu’il n’y en aura pas de cinquième. J’ai aidé à créer le premier couple il y a bien longtemps déjà, juste après que la terre fut couverte d’une beauté verdoyante. nous avions créé tous les animaux, et dans la foulée nous décidâmes d’essayer ces créature à deux jambes, notre plan à ce moment là les accordait parfaitement dans l’équilibre de la vie, en faisait une partie intégrale du Tout
Ah ! si nous avions su ! Peut-être bien qu’on les aurait fait marcher sur leurs quatre pattes, rendu leurs yeux plus occupés à chasser et rechercher leur subsistance plutôt que de leur donner cette position verticale qui les poussa immédiatement à se croire au-dessus des autres. Ou peut-être aurions-nous dû leur donner une longue queue qui les aurait humiliés ou vexés en accrochant les teignes de bardane et autre petits divertissements.
Oui, en voilà un couple, mâle et femelle, créés dans le but de se multiplier et d’exister dans l’équilibre. Nous leur donnâmes des mains munies de doigts capables de produire des objets utiles et beaux. Et, encore plus important, nous leur donnâmes une grande intelligence pour qu’ils soient capables d’inventer des choses comme les paniers, les bols, et si possible, de magnifiques dessins pour enchanter l’oeil et l’imagination.
Et, bien qu’ils soient les premières créatures de cette sorte, leurs pensées commencent immédiatement à jouer avec les concepts d’inceste, d’auto-satisfaction et de cupidité. Ils s’enlacèrent, reniflant, prenant de l’assurance, chacun désirant ce qu’il y avait de meilleur à gagner des secrets de l’autre. Oh, ils aimèrent, oui, ils aimèrent, mais dans leur amour, chacun ne regardait qu’en lui-même, se demandant : Qu’est-ce que je désire ?
J’étais écoeuré d’avoir aidé à créer ça. Non, j’étais horrifié ! Oui, c’est ça, horrifié ! Imaginez un peu ce qui pourrait arriver si ces créatures effroyables pouvaient développer et répandre leurs concepts égocentriques. Alors, je les tuai ! Mort. Puis je fis un feu, car il ne faut pas gaspiller une bonne nourriture, pensai-je. Et pendant qu’ils cuisaient, je respirais les douces odeurs. Leur graisse et leurs chairs grésillaient et pétaient dans le feu et j’avais l’eau à la bouche. Puis je remarquai une autre odeur, une bouffée âcre dans un filet de fumée jaune mêlée de gris. L’odeur devint abominable. Elle me fit vomir. Un arbre tout près de là perdit ses feuilles, et bien que nous soyons au printemps, les arbres se vêtirent d’automne.
Non, je n’ai pas mangé les créatures. Il y avait dans cette fumée âcre des éléments qui pénétrèrent mon cerveau et étaient destinés à me donner mes premiers cauchemars. J’allai m’asseoir sur une petite colline en attendant que les corps soient consumés par le feu. Et quand tous les restes furent réduits en cendres, je les recouvris de terre et de pierre et quittai l’endroit rapidement.
Nous nous disions : essayons de nouveau. Ecrivons ces mots ! Nous avons relevé un défi sans le réaliser, notre adversaire est notre propre erreur, ou mieux... : ce filet de fumée jaune âcre empoisonnée a infiltré dès à présent le merveilleux nouveau monde de la Création et la graine du doute, de la crainte et autres formes de constipation a été plantée profondément.
Alors oui, et encore oui, nous relevâmes (nous le pensions, ou quelque chose comme ça) le défi. Et à la même image que le premier que nous créâmes, nous créâmes une autre sorte de créature à deux jambes avec exactement les mêmes attributs sinon que les deux étaient des mâles. Notre excuse, ou au moins notre génie, (ou peut-être notre dessert, mais pourquoi continuer à fabriquer des mots en ou sur des mots ? Atteindre à la chair des mots, n’est-ce pas ce que nous voulons entendre ?)nous décida à créer deux mâles, ainsi en leur donnant du temps pour s’habituer l’un à l’autre, pour se connaître mutuellement, c un peu d’expérience de la vie, peut-être que ceci devrait les apaiser et leur assurer leur propre place dans l’équilibre de la vie. Et puis plus tard, nous créerions les femelles.
"Ah, que de rêves, que de manipulations pour apaiser l’ego. Inconsciemment (vraiment ?) oui, j’avais développé l’ego. Oui, sans m’en rendre compte, j’étais devenu Coyote. La vanité, la détermination et l’obstination étaient entrées en scène. Je ne peux me souvenir, mais peut-être ai-je déjà oublié mon rôle d’aide à la création. L’humble aide, moi-même, était devenu l’agressif, auto désigné, connaisseur de la vérité : "Je le ferai comme il faut cette fois-ci !" C’est ce que je jurai à la Création. (Oui, je me souviens maintenant. La Création sourit une fois avant de s’en aller vers d’autres endroits et de sortir de derrière une pensée, une de celles qu’à ce moment là, je m’attribuais lorsque je pensais : La Vie est dans la vie, la mort dans la renaissance : c’est tout, rien d’autre.)
Et j’étais tellement occupé, que je n’accordai que peu d’attention aux jumeaux à deux jambes, qui en ce moment s’essayaient à l’argile, se peignant de manière très voyante. Puis ils trouvèrent la voix et commencèrent à fabriquer ce qu’ils considéraient comme des chansons. Ils grimaçaient et hurlaient. Et leurs progrès étaient très rapides, qu’il s’agisse de crier ou de brandir des pierres et des bâtons, et même de se donner des coups dans des combats simulés. Mais bien sûr, les combats simulés n’étaient pas faits pour les satisfaire très longtemps, et ils tombèrent très vite dans les affaires beaucoup plus sérieuses :l’abattage, ou si vous préférez, le meurtre . Et c’était vraiment étrange de voir le vainqueur semblable à la victime à terre, debout sur elle. Et non, bien sûr, il n’était pas satisfait de cette manifestation singulière de mutilation, et marchait à grands pas de long en large regardant alentour, cherchant sa prochaine victime.
"Et quand finalement je revins à moi et remarquai sa perfidie, je toussai doucement pour attirer son attention, (pensant lui demander ses motivations, maintenant que j’étais Coyote ; le grand arbitre et la créature de sagesse), et il se tourna, se préparant à me foncer dessus.
Eh oui, je l’ai tué aussi, sans penser à rien. Car j’étais à ce moment tellement imbu de moi-même que le reste importait peu.
Et sans réfléchir une nouvelle fois, je pris sur moi de créer un nouveau mâle et une nouvelle femelle de cette espèce, non pas par curiosité, mais comme un défi à mon propre génie. Oui, cette fois-là, j’aurais voulu leur montrer qu’ils devaient vivre dans l’équilibre, en obéissant à mes lois. Vous vous imaginez ? Obéir ? Moi ?
Oui, je vous vois, vous tous, assis là mal à l’aise et jetant des regards de colère vers l’entrée de la maison ronde. Je sais que vous voulez partir, et que vous commencez à en avoir assez de ma récitation, mais je vous en prie, écoutez-moi jusqu’au bout.
Vous devez comprendre qu’ils étaient comme des jouets, des joujoux fascinants. Je n’avais pas idée de la façon dont je m’en débarrasserais. Je projetai de les remettre à leur place dès que j’aurais fini avec eux.
J’étais convoqué à l’autre bout de la Création pour une consultation. La Création était si polie qu’elle prit beaucoup, mais beaucoup de temps pour arriver : C’était parce qu’elle, la Création, pensait que j’avais fait une grande erreur en recréant ces deux-jambes. Je la priai de m’excuser et promis de ne plus refaire ces erreurs. "Mais non" dit la Création "c’est trop tard".
Ainsi, nous sommes envahis, comme toute cette terre. Et tous, je vous prie de m’excuser. Et je vous promets que ces deux jambes s’en iront bientôt. Livrés à eux-mêmes, ils ont inventé des bâtons et des cailloux encore plus gros et meilleurs pour s’entre-détruire.
Et quand ils seront partis, je vous assure et vous promets, non pas en tant que Coyote, mais comme le premier aide au début de tout chose : cela n’arrivera plus. Non, cela n’arrivera plus, cette plaie, qui se nomme humanité.
conte de Peter Blue Cloud traduit de l’anglais par Manuel Van Thienen ( en savoir plus )