Aux premiers jours de cet été nouveau, que me vient-il d’autre à l’esprit, qu’un couple à bicyclette sur la route des vacances, lors de l’été 1936 ? Les congés payés, « être payé à ne rien faire », étaient arrachés de haute lutte, avec la semaine de 40 heures entre autres, au Medef de l’époque. En ces temps, les grèves sans concessions, les batailles collectives débouchaient sur des négociations qui faisaient fléchir le patronat, afin d’améliorer les conditions de vie du peuple.
Eté 2014, devant la page blanche qui s’offre à moi et que je peine à occuper, je mets dans un shaker cérébral l’actualité du moment : Grand Marché Transatlantique (le GMT), Tour de France, Mondial de Foot, Grève des intermittents du spectacle.
Je mélange le tout et…pardonnez les raccourcis osés, les allusions rapides, je verse sur l’écran le cocktail obtenu.
Aujourd’hui chaque être humain a le droit de revendiquer de vivre mieux demain.
Ce qui était dans l’ordre des choses : vouloir obtenir collectivement un meilleur service, des conditions décentes pour chacun (santé, communication, transports, éducation, audiovisuel, rythme de travail, sécurité de l’emploi, etc…) s’ancrait dans un processus historique et lentement construit par les peuples, qui a trouvé, ensuite, un accélérateur dans le programme du Conseil de la Résistance. Ce processus s’est métamorphoser, et aujourd’hui, on tendrait à réclamer un meilleur service pour soi, individuellement, aboutissant à une myriade de revendications parfois contradictoires.
La notion de service collectif public s’est érodée d’elle-même. La faute aux moyens affectés, se répercutant sur la qualité du service. La faute aussi à un rapport à la chose publique devenant une relation de client à prestataire, toujours plus exigeante et défiante, la collectivité ne pouvant plus faire face et cherchant à réduire les coûts .
Le GMT, qui se négocie dans le plus grand secret, entre Europe et Etats Unis, accélèrera le processus, hâtant la disparition des Services Publics, laissant toute liberté aux multinationales pour plier le Bien Public, issu de nos impôts, aux lois du marché…privé bien sûr. Service dont le coût ne sera plus maîtrisé par l’Etat, sans garanti d’accès pour tous.
Que faire ! Quel frein inventer ? Comment retrouver l’esprit collectif ?
Si j’osais une métaphore footballistique, vu le contexte actuel, je comparerais nos luttes d’aujourd’hui, à un style de jeu où chacun tenterai, seul et centré sur lui, de dribbler l’adversaire, n’y parviendrait jamais, userait de procédés proches de la triche ou de la violence. C’est l’arme des équipes qui, de fait, galvaudent le mot « équipe », qui laisse le spectateur frustré.
Ce qui peut emmener ce jeu dans le sublime est ce temps où chacun est en mouvement permanent, dans un collectif, les uns par rapport aux autres, suivant des trajectoires instinctives et justes. De ce mouvement, dans lequel chacun est acteur, c’est-à-dire ne se la joue pas, ni ne se place en spectateur, nait une circulation de balle d’une telle précision que celle-ci, dans un schéma improbable, circule sans subir aucun arrêt, portée par la frappe et non par les pieds, échappant à l’adversaire, devenue le centre du jeu.
Si il n’y a pas victoire, qu’importe, il ya dans cette posture quelque chose, proche de l’art, qui force le respect.
Les salaires mirobolants des stars ne sont pas mon propos ce jour, mais puisqu’on en parle, je glisserais donc vers les rapports de l’art et de l’argent. Ce qui rapproche, dans mon esprit, les footballeurs vedettes et certains artistes perdus dans le grand commerce, est ce rapport au nombrilisme du geste et les millions qui en découlent, dans lequel le mot « art » a perdu toute valeur.
L’art, la culture dans son ensemble, doit nous permettre un autre angle de vision sur le monde social, une autre lecture des destins qui se croisent ou s’affrontent. Il devrait nous permettre, indirectement, d’imaginer des liens humains nouveaux et sensibles, qui échapperaient à la logique du profit, de la concurrence meurtrière. Ce sensible, ne peut trouver place que dans une création libérée des lois commerciales. En cela, le combat des intermittents est juste.
En cela, il va au-delà d’une défense d’un statut, il cherche une alternative non seulement à nos rapports à l’argent et au gain, mais aussi au travail.
Voilà, j’ai terminé mon Tour de France moral, en quelques minutes, sans prendre de produits illicites, et ce, à la veille du départ des cyclistes de la grande boucle mythique.
Quand nous partions sur les chemins, à bicyclette…en 1936…
JM.F