Sacrifierai-je aux injonctions de l’air du temps, résisterai-je à la tentation de rejoindre la cohorte de ceux qui commentent ce qui, dans quelques semaines, sera rangé dans les tiroirs de l’oubli. Comment ne pas chausser, quand on éditorialise, les mêmes mules que celles de son voisin de gazette, comment s’extraire – et faut-il s’extraire- de la soupe où s’enlisent ceux dont le métier est d’abord d’informer avant que de manier le dithyrambe et que de balancer l’encensoir. La chose, pour moi, est entendue : je ne parlerai pas du Pape et ce P majuscule n’est-il pas déjà le signe d’une soumission au convenu et au respectable. Et, surtout, ce que j’aurais aimé dire ou commenter, d’autres l’on fait avant moi : je pense notamment aux titres du Canard enchaîné et de Libération*.
Quoi qu’il m’en coûte, point de Pape, donc, à ma table, point de papimanie, point de commentaires salaces auxquels j’aurais à coup sûr succomber, ce qui m’évitera les bouderies de quelques rares copines sensibles à la pourpre cardinalice et au charme des moutardiers. A celles et ceux, qui par moi condamnés au manque de pape, à celles et ceux sensibles au climat qu’installe la poésie, je proposerai,en lieu et place, de méditer et de rêver à l’évocation de ces papes que l’ornithologie décline. Et au Pape de Rome, vous préférerez le pape à face noire, le pape indigo, le pape lazuli, le pape de Mindanao, le pape royal ou pape de Samoa et pourquoi pas le pape de Louisianne à moins que vous ne préfériez le pape de Leclancher, sans négliger cependant le pape de Kittlitz et le pape de Papouasie, tous oiseaux rivalisant de couleur et de légèreté comme il sied à tout ce que la nature enchante.
Ainsi rafraîchis peut-être supporterez-vous mieux l’abus de protéines où nous convie l’actualité , quand le cheval se fait bœuf sur les routes improbables du négoce, à l’heure libérale où la cupidité triomphe, quand on apprend qu’à partir de maintenant les poissons pourront se goinfrer de farines animales, comme nous nous goinfrons de lasagnes au canasson ou de hachis que la décence m’interdit de qualifier. Si mon ami Marcel n’était pas là pour me requinquer, sans doute sombrerais-je dans la déprime et la consomption , cerné de toutes parts par le sombre et le grotesque, entre papamobile et NKM, à l’heure où le désespoir s’immole au seuil de Pôle emploi et que s’expose l’indécence d’un dirigeant qui voudrait se faire passer pour un renonçant.
Il y a des moments où la raison vacille, quand ce que l’on appelle la foi s’incarne dans une caricature en bas résille, au grand dam de celles que je côtoie parfois entre indignation et ( Boutin me pardonne) extase non feinte. Alors, si vous m’en croyez, chères sœurs et chers frères, succombons derechef à cette saine colère où la vraie vie s’invite et prions pour qu’enfin etc... Voilà que je parle comme un vrai papifan , victime sans doute d’une trop forte imprégnation. Heureusement devant nous quelques semaines de répit avant que ne fume au pinacle la sainte et candide buée .
Patience. Bientôt viendra le temps des cerises.
Amen,
MA
*Pour ce dernier journal cependant on peut faire remarquer que papus n’est pas le latin de pape, c’est papa, mais il lui sera pardonné l’euphonie ayant ses exigences et papa interruptus n’entrant pas en résonance avec le coïtus du même tabac.