Editorial du 16 au 23 janvier

vendredi 16 janvier 2015 par Radio-Grésivaudan

Je suis Charlie, une liberté de penser ?

J’ai assez peu lu Charlie Hebdo ces dernières années même si je l’ai quelques fois acheté pour rigoler. Ses caricatures m’ont souvent fait sourire et je pense que ce journal a de vraies raisons d’exister, libre et marrant qu’il est, dans le paysage médiatique à grande échelle français. Cabu ou Wolinski font parti des personnes disparues « connues » pour lesquelles j’éprouve de la sympathie et je déplore bien sûr qu’ils aient été tués dans de si violentes circonstances, par ces personnes d’une étroitesse d’esprit terrifiante, démunis d’humanité et d’auto-dérision. C’est le problème des facsistes de toute catégorie. 

Depuis l’annonce du massacre à la rédaction de Charlie Hebdo j’ai erré intérieurement à la recherche d’une lecture plus claire des événements. Tout est allé si vite et dans une telle quantité d’informations que j’ai senti ma pensée se paralyser :
Un choc, puis rapidement une sensation d’anesthésie diffuse, perplexité face aux différentes expressions de l’actualité qui déferlent.

Bref, s’en suit tout ce qui s’en suit... Recherches, prises d’otages : morts, blessés.
Le tout ramené à une quantité faramineuse d’images, des heures et des heures d’images qui ne coûtent rien (on aurait jamais vu ça à l’époque de la pellicule) mais rapportent gros, comme s’en vantait grossièrement le patron de BFM TV la semaine dernière.

L’affliction générale me sonne alors comme étrangère, une distance et un malaise s’installe en moi car je me sens en difficulté d’exprimer un point de vue que je reconnais peu à peu comme marginal.
L’élan massif et naturel vers le rassemblement « Je suis Charlie » me laisse de glace. Sans doute parce qu’il me semble lire à travers les lignes un gros coup de com’ politique... Des actes sont posés, des décisions se prennent, l’occasion fait le laron comme on dit...
Qu’entendre derrière la logorrhée d’experts et de spécialistes, voix unique derrière la bannière de la république ? Quelle liberté ? On se croirait presque américains en 2001...

« Je suis Charlie »... Scandé partout, le message est fort. Je le vis pourtant comme une injonction à faire corps derrière les partis politiques qui tirent le bénéfice de la situation. Il me manque une invitation à penser le problème par moi-même et d’une manière plus large : qui empêche qui de s’exprimer ?

Résultat des courses : je me sens presque plus profondément impactée par la médiatisation lourde de cette tuerie que par sa cruauté propre.

J’ai la sensation que le débat, le vrai, n’est pas là où les médias nous mènent et qu’on se fait rouler. En jouant la carte de l’émotion et du happening, ils nous volent la possibilité et même la responsabilité de débattre sur les sujets qui comptent réellement :
à quelle société sommes-nous en train de croire ?
Le monde se résume t-il à de gentils républicains libres et à de méchants djihadistes obscurantistes ? Quel scénario veut-on nous faire avaler ?
Prétendant défendre les valeurs des civilisés contre le terrorisme des barbares... Pas con, mais ça commence à se voir... et à faire de sérieux dégâts collatéraux. 

Que cette attaque violente de Charlie Hebdo sonne comme un 11 septembre m’apparaît comme un choix politique d’écriture de l’Histoire. C’est un choix aussi d’ignorer d’autres gâchis de la pensée, de la soit-disant « liberté d’expression » qui n’a plus de sens ici sauf à donner l’ambiance sécurisante d’être en démocratie, puisqu’elle appartient ( tout comme l’écriture de notre Histoire, qui n’est pas franchement collective) aux puissants.

Aux oubliettes la Françafrique, les paradis fiscaux, la vente d’armes à des enfants, l’appui à des dictatures, le pillage des ressources en Afrique et au Moyen-Orient,... ou même le meurtre de Rémy Fraisse, comme le soulignait Frédéric Lordon dernièrement lors d’une soirée organisée par le journal Fakir...

Liberté d’expression, pour qui et pour quoi ?

E.G


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