On dit que le Salvador est un pays dangereux. Que des hommes en tuent d’autres impunément. Qu’il ne vaut mieux pas s’y aventurer ou, si on prend le risque d’y mettre les pieds, être prudent. Ne pas sortir à pieds la nuit. Ne pas prendre de photos dans la rue. Préférer les centres commerciaux éthérés, un garde armé à l’entrée, aux bouis-bouis un peu crasses.
On dit aussi qu’il vaut mieux éviter les bus. Les mareros y sévissent régulièrement, pour prendre aux pauvres l’argent de leur labeur. Les riches et les hommes de pouvoir, eux, ne cessent d’être impliqués dans des histoires pas claires.
On dit plein de choses du Salvador, surtout quand on en vit loin et qu’on ne le connaît qu’à travers des films comme « La Vida Loca », documentaire dont le réalisateur a fini comme la plupart des personnages, à la morgue.
Je suis venue dans ce pays pour retrouver une de mes meilleures amies. Amoureuse du pays. Amoureuse d’un enfant du pays depuis 6 ans qu’elle y vit. Si enthousiaste à l’idée de m’accueillir et de me faire enfin partager ce(ux) qui partage(nt) sa vie.
J’y ai découvert un joli pays, éclatant de verdure dès la saison des pluies commencée. J’y ai rencontré de belles âmes qui tant bien que mal essaient de redorer le blason de leur cher El Salvador, comme mon amie qui depuis mon arrivée, ne cesse de m’en peindre une image positive, depuis sa maison située dans une petite résidence ceinte de hauts murs surmontés de barbelés électrifiés, « alta voltaje », le défendant corps et âme face à cette réputation de violence où, certes, il existe, comme elle dit, « des probabilités ».
J’ai eu l’occasion de mener mon tout premier atelier radio en espagnol en proposant à une poignée d’ados motivés, de faire la démarche de prendre le temps d’écouter et puis de se bouger pour créer une modeste émission de radio. J’ai bénéficié de l’appui précieux de mon amie qui a joué le rôle de la traductrice dynamique, et d’une de ses collègues de boulot qui elle passe tous ses dimanches avec ces jeunes, et ses samedis avec d’autres.
Le contact avec des jeunes respectueux, attentifs, pleins d’idées, a été une expérience riche et inoubliable. Malheureusement, elle s’arrêtera là, aux prémices d’un projet qui aurait pu être beau.
Elle s’arrêtera là parce que mon voyage en Amérique Centrale a changé de saveur. Parce que Nelson, le compagnon de mon amie, celui qui partage sa vie, mon ami, a été LA probabilité. Il est décédé lundi soir des suites d’un homicide.
Sur la route pour aller voir son père, vers 20h, il a reçu un coup de feu fatal. Personne ne sait ce qui s’est passé. C’est la police qui l’a retrouvé, inconscient, et qui l’a porté à l’hôpital où il s’est éteint. Tout ce qu’on sait, c’est qu’on lui a volé son portable. Et comme si tout cela n’était qu’un cauchemar, je le vois connecté par intermittences sur Skype.
Depuis lundi, je vis le Salvador de l’intérieur. Je vis les heures de veillée au funérarium, je vis les pleurs de la famille, des amis, des élèves, des collègues. Je vis la peur, quand le soir on rentre à la maison. Je vis la douleur de mon amie, la mienne, la nôtre. Je vis l’incompréhension. Je vis la violence d’un pays gangréné par la petite et grande délinquance. Je vis les questionnements, les hypothèses. Je vis, je vois, j’écoute. Nelson, lui, repose.
Je partage cette histoire pour qu’on sache que tout peut arriver, au Salvador comme ailleurs. Qu’il faut chaque jour en profiter. Que l’on a de la chance d’être en vie.
Ce texte, écrit à chaud, je le dédie à Nelson avec qui je partageais l’humour, au-delà de la barrière de la langue. Je le dédie aussi à mon amie Daniela, à qui je souhaite force et courage pour envisager l’avenir. Je le dédie à leur amour et à leur complicité, plus profonds que jamais.
E.P