Je dois vous l’avouer aujourd’hui, j’ai eu une autre vie. J’ai été cadre dans les études de marché ! Oui ! Pire, j’ai été cadre à l’IFOP, la boîte de Laurence Parisot qui allait devenir, peu de temps après mon départ la présidente du Medef. Heureusement, et je n’en suis pas peu fier, je fus viré sous un fallacieux prétexte, après qu’un article de presse dont je fus à l’origine, s’échinât à dénoncer l’instrumentalisation des forces de police par leur ministre, Nicolas Sarkozy, qui allait devenir, peu de temps après, président du royaume de France-Medef. Mais ceci est une autre histoire, et je ne manquerai pas de vous la narrer à l’occasion.
Avant ça je fus employé par une autre société d’études, dont les dirigeants, moins hypocrites expliquaient qu’ils vendaient du vent, mais le vendaient cher ! Leur motivation était simple : s’amuser, et dans ce but, faire du pognon. Ceux-ci d’ailleurs montraient une forme de considération pour leurs employés, en les payant bien, ajoutant primes, restaurants et champagne à volonté. Le mois de février étant creux dans ce secteur, ils nous conviaient même à un voyage annuel, sans malice : ce n’était ni pour nous tester, ni pour entretenir notre motivation au travail, mais je veux le croire, afin de faire partager leur plaisir de vivre en ce monde.
Voici comment je me suis retrouvé un beau jour à Las Vegas et dans le Grand Canyon, pour un voyage éclair de quatre jours. Voyage riche en enseignements que je vous ferai partager aussi plus en détails un jour. Par exemple j’ai pu me rendre compte à quel point les états-uniens vouent un véritable culte à la viande, y croyant beaucoup plus ardemment qu’à ce pauvre « My God » qu’ils mettent à toutes les sauces (comme la viande), ou à ce fameux « Djizeus » qui n’est pas, comme chez nous, un saucisson. J’ai remarqué aussi ces nombreuses familles mexicaines s’étant mis en quatre pour louer un smoking afin de venir confier aux bandits manchots leurs dernières économies dans l’espoir de décrocher le jackpot triple7 (777) et d’échapper à la misère. La plupart échoueront bien sûr mais grâce à George W. Bush, ils seront plus tard repêchés en obtenant le droit d’aller se faire trouer la peau en Irak pour peau de balle !
En ce temps là, en Médéfie donc, les télévisions et nos moniteurs étaient encore de gros cubes cathodiques bien qu’on sentît déjà frémir le vent du changement grâce à un Internet 64k ! Aussi, c’est béat d’admiration que je tombais nez à nez à l’entrée de la ville de tous les vices, en plein désert, avec un écran gigantesque et plat dont l’éclat supportait à l’aise la concurrence d’un soleil pourtant omniprésent même en février. Heureusement, depuis nous avons fait de considérables progrès pour rattraper nos grands frères d’Amérique, sans qui d’ailleurs, vous le savez, toute l’Europe serait allemande et les israélites auraient beaucoup moins d’occasion de faire chier leurs frères arabes. Oui, car non seulement nous avons tous notre écran portatif dans la poche, mais de surcroît je peux aller manger mon confit de canard en Périgord sans rien rater du terroriste palestinien gisant la tête explosée dans une mare de sang à l’aéroport de Tel-Aviv en rotation quatre fois dans l’heure sur BFMITV. Je peux faire mon plein de gas-oil, celui des bons arabes, ceux qui ont du pétrole, à la station service en regardant l’écran incrusté dans la pompe me vanter le morceau d’ananas bio vendu chez Mc Do. Je peux enfin faire la queue à Carrefour, sans m’ennuyer grâce à un écran Samsung tentant de me fourguer le dernier smart-phone Samsung sur lequel je recevrai la pub pour ma prochaine machine à laver (une Samsung !). Je suis enfin débarrassé de ces prolétaires en bleu de travail qui collaient à l’aide de balais télescopiques de grandes affiches en papier et me faire flasher en pleine tronche 24h/24 la nouvelle gamme Nana, avec contrôle des odeurs, dans toutes les rues de la ville...sauf Grenoble, mais heureusement, en périphérie on est moins tatillons ! Ah, et puis mon plus grand kiff, j’avoue, c’est me balader dans ma grande surface, généraliste ou de bricolage, afin de regarder sur de petits écrans les tutoriels m’expliquant comment poser du papier pain, ou comment me servir de mon balai à chiottes.
Bon, après cette féerie d’images, il faut bien se coltiner à la vraie difficulté : les rapports humains. En effet, quand je demande, étant seul dans un bar, au patron de bien vouloir éteindre au moins un des quatre écrans (un par mur), par exemple celui que je ne vois pas mais qui me hurle dans l’oreille, je suis gratifié alors d’un regard compatissant signifiant combien je suis vieux et dépassé : « c’est comme ça maintenant monsieur, c’est la clientèle qui le demande , je vous comprends, mais on y peut rien ». Rappelons simplement quelque chose qu’avait bien compris le créateur de Windows, en nommant son invention, souhaitant nous faire passer notre écran pour une fenêtre ouverte sur le monde ; un écran est avant tout un panneau occultant : il fait écran, et souvent un écran de fumée entre nous tous et entre nous et le monde. Je vous invite donc à l’exprimer, à le dire car le plus grand tort que nous font ces écrans est de nous interdire de nous exprimer et à nous laisser faire, nous encourageons tout simplement la fin de l’humanité. J’aime moi-même beaucoup la télévision et je sacrifie parfois à la messe cathodique, mais je veux simplement pouvoir décider quand l’allumer, quand la voir, quand l’éteindre. Je vous invite donc, non seulement à exprimer autour de vous votre refus de la dictature de l’image, mais aussi à éteindre vous même tout écran superflu, débitant sans auditoire son tissu de mensonges, consommant sans vergogne des ressources et de l’énergie. Ils n’ont pour la plupart plus de bouton « off » mais encore des fils faciles a débrancher. Et puis... mais pour combien de temps, il y a des radios, des radios non commerciales comme votre serviteure, Radio Grésivaudan et ses consoeurs, leur cortège d’émissions modestes et géniales, La Télé au Placard. et les autres.
S.R.