Arno "Brussld"

Rock Belge

vendredi 9 avril 2010 par prog

Arno ,à savoir le plus grand chanteur de rock belge de tous les temps – Brel inclus - , l’homme qui a vu l’homme qui a vu la démesure, et le bégaiement le plus séducteur de ce côté-ci de la ritournelle. Donc, on compte : si l’on excepte les compilations, le drôle d’objet international qu’on manipule doit constituer la quatorzième livraison du bonhomme. Mais on peut se tromper : après tout, on n’est pas chez les comptables, mais chez les hommes de cœur.

Brussld (ce qui doit correspondre à Bruxelles, articulé la bouche pleine de frites, moules, et autres Mort Subite), est donc le nouveau disque studio d’Arno, produit (avec un petit coup de main de la part de Serge Feys, claviériste du chanteur, et ancien de TC Matic, c’est ce qu’on appelle la fidélité en amitié), écrit et composé par le même, qui croise sur une partition (le mâchonné et funky « Le Lundi on reste au lit ») la délicieuse et jazzy et froufroutante Marie-Laure Béraud. Album bilingue s’il en est, les douze titres de la sélection alternent anglo-saxon (plutôt rock) et français (plutôt rauque), gros son et romance. Quelque part entre Ostende (là d’où il vient) et Bruxelles (là où il réside), Arno a composé, puis interprété, quelques chansons à l’arraché (« Black Dog Day », comme la charge que soulève l’haltérophile en un râle, « God Save the Kiss », poisseux à l’instar d’une visite non guidée des bayous louisianais), et une poignée de refrains déchirants dont il s’est fait, depuis plusieurs années, la spécialité : « Quelqu’un a touché ma femme », dans un flonflon de fête foraine dépressive comme une pomme d’amour échouée dans le caniveau, ou « Mademoiselle », valse triste qu’on pourrait penser orchestrée par les instruments-jouets d’un Pascal Comelade, complètent la galerie de personnages écornés, et écorchés, du Belge.

Dans « Pop Star », Arno joue toute la musique qu’il aime (qui vient de là, qui vient du blues), et avec « Ginger Red », il campe un crooner fatigué (pléonasme), affalé comme il se doit en toute fin de soirée (malgré la guitare qui grince, et les derniers verres qu’on emplit). Versant fantaisie typique, Arno nous offre une improbable version du « Get Up, Stand Up » de Bob Marley, au piano décharné, et romantique, comme si Frédéric Chopin avait trop forcé sur l’herbe qui fait rire. Versant chef d’œuvre, l’auditeur bénéficie d’une ritournelle d’ores et déjà immarcescible : « Elle pense quand elle danse » nous tend un miroir grimaçant sur notre époque, et les drôles de gens qui la peuplent. Et comme s’il n’avait pas souhaité tirer sa révérence sur un mode mineur, « Ca monte » (le temps de la danse, et les tentations orientales de la nouba) et ses jeux de télé à la con, conclut un album où Arno est partout, toujours lui, et toujours identique. Et dans le désormais usuel titre caché, Arno tente de décrypter la dualité du monde (black or white/female or male) dans une atmosphère de chansons à boire branchée sur le secteur : pas évident qu’il y soit parvenu, mais cela nous promet, pour le moins, de futures tentatives tout aussi goûteuses.

Outre l’édition courante, Brussld bénéficie d’une version en coffret limité, incluant un double album vinyle (gratifié de cinq chansons inédites), ainsi que d’une carte de téléchargement MP3, ce qui constitue un assez passable grand écart technologique, et un joli pied de nez au temps qui passe.


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